La connaissance des objets du patrimoine a été principalement développée en histoire de l’art et en histoire des techniques mais l’approche analytique de ces objets renouvelle leur étude. En effet, l’identification de leurs matériaux constitutifs apporte des informations dans de multiples domaines.
La première information est d’ordre chronologique. En effet, l’identification du matériau d’un objet permet de proposer une datation ou du moins une estimation de datation ou, inversement, elle peut montrer une contradiction avec la date présumée pour l’objet. De plus, les matériaux utilisés témoignent du mode de fabrication et mettent en évidence des caractérisations technologiques qui peuvent être fonction du lieu et de l’époque de production. Parfois une origine géographique peut être proposée à partir de la présence d’un produit spécifique, naturel ou artificiel.
La connaissance de la composition et de la structure des matériaux des objets du patrimoine est également essentielle pour proposer des stratégies de conservation et de restauration. En effet, les conditions de conservation idéales (température, humidité, intensité lumineuse) peuvent varier selon le type de matériau considéré. De même, les techniques de restauration employées doivent être adaptées au matériau de l’objet.
Dans l’étude d’objets du patrimoine, nous nous sommes intéressés à une période charnière pour l’histoire des matériaux. A la fin du 19ème siècle, des matériaux naturels tels la nacre, le bois, l’écaille, la corne, l’ivoire et l’os sont employés pour la fabrication de divers objets de la vie quotidienne. A la même époque, les premiers matériaux plastiques artificiels sont mis au point et introduits dans la fabrication des mêmes objets à un niveau de production industrielle. Ces nouveaux matériaux sont d’abord utilisés dans le but d’imiter et de remplacer les matériaux naturels. Puis, très rapidement, les fabricants réalisent que ces matériaux artificiels permettent aussi de proposer des objets pouvant être déclinés en plusieurs aspects et différentes couleurs et avec des formes nouvelles ou plus complexes.
Cette période de la fin du 19ème au début du 20ème siècle (1880-1920) est une période clé dans l’histoire des matériaux, puisque les deux types de matériaux, naturels et artificiels, sont utilisés simultanément pour la production d’objets. Les objets fabriqués durant cette période sont également d’un intérêt majeur pour les historiens des techniques et les conservateurs, car ils sont les témoins des premières utilisations d’un nouveau type de matériaux.
Les objets que nous avons étudiés sont des éventails provenant essentiellement des collections du musée Galliera, musée de la Mode et du Costume, à Paris. Ces objets ont été choisis parce qu’ils présentent des caractéristiques particulières qui vont permettre de répondre à notre problématique. En effet, les éventails sont bien datés par les conservateurs, ce qui garantit leur appartenance à la période d’intérêt. De plus, ces accessoires de mode ont été produits en quantités importantes durant cette période, avec une grande diversité de matériaux et de couleurs, ainsi qu’une grande diversité de qualités.
Un siècle après la fabrication de ces objets, l’enjeu est non seulement de reconnaître les matériaux naturels de leur imitations en matériaux artificiels parce qu’il est souvent impossible pour un oeil non averti de les différencier visuellement, mais aussi de caractériser et d’identifier tous ces matériaux, naturels et artificiels. Il est donc nécessaire de recourir à des méthodes analytiques qui présentent l’avantage d’être complètement objectives par rapport à une expertise visuelle. La procédure d’identification sera faite en deux étapes. La première consiste à établir une banque de référence à partir d’objets dont le matériau est identifié de façon irréfutable. Puis, l’identification d’objets de nature inconnue sera effectuée par comparaison avec la banque de référence.
Les objets que nous avons étudiés présentent une grande valeur historique et muséographique. A ce titre, le critère essentiel dans le choix de la technique est qu’elle soit totalement nondestructive : ni prélèvements, ni détérioration ou modification du matériau lors de l’analyse ne sont autorisés. Deux techniques complémentaires répondent à ces exigences : la spectroscopie Raman et la spectroscopie infrarouge.
Dans un premier chapitre, nous présentons les matériaux, naturels et artificiels, susceptibles d’avoir été utilisés pour la fabrication des éventails entre la fin du 19ème et le début du 20ème siècle. Les techniques d’analyse que nous avons utilisées sont décrites dans le chapitre 2. Le troisième chapitre détaille les stratégies d’analyse que nous avons établies pour étudier successivement l’ensemble des matériaux, et présente les identifications que nous avons réalisées sur des éventails conservés au Musée Galliera.